Comprendre la ferme de l'Enfer en quelques lignes
À propos ...
Ch’timi d’origine, j’ai vécu mon enfance dans un quartier résidentiel de la banlieue Lilloise. Dans les années 70, en pleine guerre froide, alors que le mirage des 30 glorieuses se disloque, le Nord industriel est à la peine. Déjà, le rapport Meadows du Club de Rome (1972) et le premier candidat écologiste à la présidentielle René Dumont (1974) ont sonné l’alarme : Si les pays riches continuent à guider l’Humanité dans un tel consumérisme notre planète connaîtra la surchauffe. En 1976, un songe me réveille en catastrophe : J’y ai vu des foules urbaines affamées envahir les campagnes, en quête de subsistance… Amoureux des plantes et des animaux depuis ma plus tendre enfance, d’emblée il me semble alors évident que le respect de notre environnement est la condition sine qua non à la pérennité de l’espèce humaine.
A l’âge de 18 ans je décide de me consacrer à une vie rurale, en recherche de solutions pour réenchanter le rapport entre l’Homme « moderne » et son milieu. De stages en élevage de chèvres, de vaches ou de moutons, de BTS en école d’agroécologie, du Sénégal à l’Australie, il m’aura fallu 8 ans de formations de toutes sortes pour passer de la prise de conscience à l’action de terrain. Après deux expériences en tant que paysan dans le Sancerrois et le Vannetais, à l’âge de 50 ans je m’installe pour la troisième fois sur un domaine agricole : La ferme de l’Enfer, en mai 2011. En 2021 je travaille et vis seul bien que j’aspire à une association… en attendant d’atteindre l’âge de la retraite, laquelle je conçois pour l’instant comme un tuilage progressif avec les successeurs, et non un arrêt brutal de ce contact à la terre, si nourrissant à tous points de vue.
« On n’arrête pas le progrès !»… Hélas, quelle prétention … « Il faut vivre avec son temps !» Ok… mais que cela ne nous dédouane pas d’être attentifs aux vibrations, à la respiration du monde vivant, dont nous ne sommes qu’une moindre partie. Dans le règne animal, toute espèce dont la population croît de façon exponentielle et au détriment de son milieu est amenée à s’effondrer, et ce plus rapidement encore qu’elle a cru. La sixième grande extinction des espèces qui est en cours est un message sans équivoque. Si nous souhaitons y survivre nous devons stopper l’hémorragie en matière de biodiversité tout en fléchissant de manière drastique la courbe des rejets carbonés. L’équation est claire, fort simple: Nous n’avons le choix qu’entre décroître en consommation… ou en nombre !
L’humus : Pratiquement cela nécessite de raisonner toute action dans le respect du vivant, dont nous ne sommes pas propriétaires, mais juste partie. L’agriculture, qui nourrit l’Homme depuis le néolithique, n’a pu y parvenir qu’en utilisant et régénérant les quelques centimètres de couche d’humus qui meublent notre sol, et sans lesquels la vie n’est pas possible. Pas d’humus, pas de microorganismes, c’est l’érosion… et le désert. Le paysan se doit donc d’utiliser des pratiques visant à « laisser cet endroit dans l’état où il l’a trouvé à son arrivée » voire si nécessaire, de le restaurer.
L’autonomie : Depuis que j’ai quitté l’école le nombre de paysans a été divisé par quatre. Cette impressionnante hémorragie s’est opérée au profit de l’agrandissement des structures, de la spécialisation et du recours à une technologie générant autant de coûts financiers et environnementaux que du gain de productivité dont elle s’honore. Or, ce que l’on omet d’enseigner dans les lycées agricoles, c’est que le revenu s’obtient en soustrayant les charges aux produits. Donc ce n’est pas parce que l’on produit plus que l’on gagne plus ! Alors, sans parler de l’autarcie (qui nous coupe du monde dans une posture asociale), l’autonomie vise à optimiser la production en se concentrant sur le potentiel de la terre dont dispose la ferme. Je fais avec ce que j’ai, en tirant profit du soleil et de la pluie, dont les services sont (encore) gratuits. Contre-exemple : Si je dois m’endetter à 70% pour construire un bâtiment coûteux et acheter des tonnes d’aliments pour élever des animaux dont je confie la vente à un tiers : en très faible autonomie je suis à la merci de toute une panoplie de facteurs dont je n’ai pas la maîtrise.
En amont, l’agriculteur de l’avenir doit veiller à ne pas investir aveuglément dans des technologies coûteuses et polluantes, et dans la mesure du possible, produire sur place les intrants (énergie, fertilisants, semences, aliments du bétail… autoconsommation familiale etc.) nécessaires à son activité En aval, en évitant les intermédiaires, le circuit-court demande certes de la motivation, du temps et des compétences, il offre en outre la liberté d’une clientèle nombreuse et diverse, la chance de pouvoir communiquer sur notre produit et notre savoir-faire, le plaisir d’échanger avec le consommateur et de resserrer le lien ville-campagne.
Pays, paysans, paysages – de l’entretien de l’espace : Plusieurs millénaires d’agriculture ont forgé dans notre pays, des pays, soit une esthétique paysagère d’une richesse et d’une diversité inouïes, dont on ne mesure trop souvent la valeur que lorsque celle-ci est menacée. Le paysan, dont la terre est l’outil de travail, est le premier dépositaire de l’entretien de l’espace rural. Quel que soit le niveau d’accompagnement dont il bénéficie de la part de la collectivité, gérer la campagne de façon pérenne relève, non seulement de son intérêt, mais de son devoir, de sa mission. En ce sens la Politique Agricole Commune ne s’y trompe pas, qui inscrit de plus en plus la « conditionnalité » des aides européennes au respect de la terre, de l’air, de l’eau et… de l’arbre !
Sorti de la forêt en s’affranchissant du nomadisme inhérent à sa condition de chasseur cueilleur, l’homme est devenu cultivateur. Au fil des siècles il a compris combien l’arbre représentait pour lui, non seulement une ressource énergétique et alimentaire, mais aussi un allié précieux. Le bois, le verger, la haie bocagère sont indispensables au paysan pour leurs multiples services dispensés: protection contre les intempéries, régulation hydrique, hébergement d’une biodiversité propre à la protection naturelle de ses productions. Ne nous y trompons pas : La plupart des civilisations ont disparu peu après leurs arbres… et sauf erreur, ce n’est pas sur la planète Mars que nous irons fabriquer du compost de bois raméal (BRF) ou cueillir l’ail des ours…
En parler ancien, « l’enfer » se disait d’un lieu reculé, un fond de vallée. A juste raison, à 400m d’altitude, le vallon de l’Enfer s’ouvrant au Nord-Ouest, il est exposé aux vents frais et humides générés par les dépressions océaniques. Mais cet îlot de 25 hectares est aussi niché au creux de bois de feuillus, ce qui lui confère son aspect de cocon préservé. Un étang, un ruisseau et de multiples sources agrémentent le site. La totalité des terrains est en prairie naturelle. Environ 150 espèces végétales peuplent les prés… excusez du peu ! Du bois, de l’eau, ainsi qu’une diversité de végétaux devenue rare sur notre territoire : L’Enfer offre un biotope particulièrement préservé aux animaux, sauvages et domestiques, qui le fréquentent.
Alors… Plutôt un paradis ? à ceci près qu’il est aussi pentu et rocailleux: Des « qualités » auxquelles un « ch’ti » a dû s’adapter malgré lui… Pas facile d’y faire du foin, ou de trouver un bout de champ pour produire le grain des poules. Alors, à cet effet, quelques terrains ont été loués alentour : En 2021 le domaine compte une cinquantaine d’hectares. Ajoutons à ce descriptif que le site est magnifique, préservé, attachant : Que ce soit pour une heure ou une semaine, les hôtes de passage y trouvent invariablement une occasion de s’y ressourcer. Hé… le bonheur est dans le pré !
Les bêtes
La totalité de la surface étant en prairie naturelle, la ferme héberge des herbivores, des ruminants. Trois troupeaux la font vivre. Un gros, les vaches, un moyen, les chèvres, et un petit, les brebis.
25 vaches allaitantes, soit une cinquantaine de bovins de race Aubrac, occupent la totalité de la surface. Très résistantes, aux yeux charmeurs et aux cornes majestueuses, elles ne craignent ni le froid ni les reliefs accidentés, et supportent les périodes de sécheresse. Leur destination est la production de viande : caissettes ou détail de veau broutard et bœuf… certification AB bien entendu.
10 chèvres de race Massif Central : Menacée de disparition, sa rusticité lui permet de vivre en plein-air en valorisant toutes sortes de végétaux. Défricheuses invétérées, nos biques transforment ronces, prunelliers, aubépine, chardons, orties (cf.vidéo ci-dessous) et toutes sortes d’herbes en « diablotin », notre petit fromage lactique… à la douceur typique ! Alimentation 100% nature, lait cru bio et auto-ferment, sel brut de Guérande… ça ne rigole pas.
5 brebis de race Rava : Ces quelques moutons dont la race est originaire du massif des volcans d’Auvergne font en quelque sorte le ménage: Peu sensibles aux intempéries, rompus aux parcours caillouteux, les rava nettoyent les prés de ce que les autres espèces ne veulent pas. Ils tondent la pelouse… un peu plus pertinemment que ne le font ces capricieuses de chèvres ou ces grosses mères de vaches. La viande d’agneau de cette qualité trouve toujours preneur.
15 poules poules et un grand jardin potager viennent compléter la production fermière, dont la table de la ferme se fournit à 90%.
Alors, quant à notre élevage : « grand, petit ou moyen » … Il faut avoir conscience que selon les critères technico économiques en vigueur dans nos institutions, il faudrait environ 90 vaches, 70 chèvres, 350 brebis… ou 3000 poules pour vivre décemment de son activité d’éleveur. La ferme de l’Enfer est donc une entité ridicule au regard du monde agricole. Gageons qu’en vertu de sa taille et de son impact environnemental, elle puisse apaiser le discours vegan qui tire à boulets rouges sur tout élevage, sans faire le distinguo entre taille et qualité de l’outil de production.
Bilan carbone : Nos animaux sont des ruminants, ils ne sont donc nourris qu’à l’herbe, sans complément d’aucune sorte. Vérifiez autour de vous : c’est particulièrement rare. La prairie naturelle, à l’instar de la forêt, est un formidable piège à carbone. Aussi, un herbivore qui n’est alimenté qu’avec de l’herbe ou du foin issu des prés qu’il fréquente présente un bilan carbone négatif : La surface en herbe piège plus de CO2 que les animaux en dégagent… qu’on se le dise !
Zéro complément azoté, pas d’ensilage, pas d’engrais, zéro maïs, zéro soja, pas d’antiparasitaires de prévention… du pâturage, du plein-air, que de l’herbe… des races anciennes, rustiques, adaptées au climat de l’Enfer.
La qualité ? Quelle qualité souhaitais-je dans mon panier ? Ici, un vrai goût d’authentique, un tsunami de naturel, le plaisir des yeux, l’extase du nez, l’abandon des papilles… Oups… l’on dirait une pub TV pour un fromage pasteurisé. Sauf qu’à l’Enfer, c’est pour de vrai. De la vraie herbe, des vraies sources… pour y boire. Des chèvres traites à la main (avec des vraies mains !) dans un bête seau en inox : Pas de tuyaux ni d’eau bouillante ni de détergents toxiques. Le bidon de lait refroidi à la fontaine. Un fromage reproduit chaque jour par auto-ferment (le petit lait, levain naturel)…
Constamment au goût du jour, nos produits sont l’expression du terroir du moment : plus ou moins d’herbe, de précipitations, de nuit ou de jour, de fleurs ou de neige, viandes et fromages s’en trouveront plus légers ou plus gras… mais toujours fins de goût, équilibrés et à la conservation exemplaire.
Issus d’une agriculture économe et peu productive, ils garantissent le respect du milieu, un impact carbone minimal et le bien-être animal… le bien-être, simplement.