Le 21 novembre 2013
Nantaise est une vache Aubrac qui vit depuis 2 ans sur la ferme de l’Enfer avec ses copines…
Non, plutôt ses congénères, pas ses copines. En effet, la nature ne dérogeant pas à ses lois, dans tous les troupeaux il existe une hiérarchie selon laquelle chaque individu occupe une place précise. Celle-ci résulte d’un rapport de force permanent, mesuré chaque jour, que ce soit à l’auge, au ruisseau, face à un passage étroit, une place à l’ombre, au sec, au chaud etc.
Nantaise fut baptisée ainsi par son éleveur, car de toutes les aubrac de l’Enfer, elle possède une tête un peu atypique qui rappelle à ce gaillard émigré de l’Ouest une noble race menacée qu’il avait un moment fomenté d’adopter, la vache Nantaise, c’était sur une petite île enjôleuse du Golfe du Morbihan.
La belle Nantaise n’a pas de chance diraient les humains, dont bon nombre s’efforcent de lutter contre les injustices que la vie ne manque jamais de faire ressentir à ceux qui maîtrisent le Verbe. Nantaise est la plus bas placée dans la hiérarchie du troupeau de vaches de la ferme. Allez savoir pourquoi : elle est belle, solide, débrouillarde et gentille, ou bonne…oui, bonne… bonnasse ? Tiens donc, c’est peut-être pour cela que les autres la maltraitent. Il arrive qu’on observe ce genre de comportement dans les cours de récréation de ceux, de tous âges, qui savent tout.
Oui, alors que d’autres n’hésitent pas à baisser la tête, cornes en avant, quand elles estiment que l’on empiète sur leur espace de liberté, Nantaise, elle, la détourne, sa tête. Elle la détourne, puis la retourne, comme pour signifier : « là, je m’incline ; est-ce suffisant ou faut-il que je me retire ? » et s’il le faut, si l’on persiste, elle s’en va, naturellement, car il en est ainsi.
Or, si les vaches lui ont depuis longtemps déjà signifié à quelle place elle pouvait humblement prétendre, l’éleveur, lui, ne l’entend pas de la sorte. Chaque jour ou presque, il pose son outil, quitte l’atmosphère poussiéreuse du chantier et profite de son devoir de surveillance pour aller faire un tour au grand air dans les prés. Et là… il observe, il surveille, il veille…. Et il apprend. Il apprend son nouveau métier, certes, mais il apprend surtout la nature, la vie, et cet apprentissage le comble d’autant qu’il lui réserve parfois de menues mais si intéressantes surprises.
Nantaise, nous l’évoquions, a fière allure. Outre sa robe grège, ses cornes fines et ses yeux mystérieux juste propres à séduire les pauvres esthètes sentimentaux, sa ligne de dos est bien droite, ses aplombs solides, l’attache de la queue, haute. Si l’on ajoute à cela qu’elle sait se tenir « en état », c’est-à-dire, sans maigrir outre mesure au rythme des saisons, voici autant de critères qui la qualifient, dans le jargon paysan, de « bonne bête ».
Alors, pour son éleveur attentif, lequel, aussi néophyte soit-il, n’en collectionne pas moins de nombreux mois sur les bancs des écoles d’agriculture, se pose une question : Par quel paraphénomène pouvons-nous expliquer qu’une vache perpétuellement mise au ban de son groupe, c’est-à-dire, tenue à l’écart du meilleur fourrage quand l’hiver fait rage, soit toujours en pleine forme ?… C’est là que la petite promenade quotidienne du bipède gestionnaire se révèle plus subtilement utile qu’il n‘y paraitrait : Plutôt en marge de ses congénères, Nantaise glane, picore, prélève… homéopathiquement, certes… mais inlassablement. Combien de fois effectivement, par des jours bien sombres, ne l’a-t-il pas surprise en train de soustraire, une à une de leur agressive ramure, des feuilles de ronce. Elle y met autant de ferveur que de délicatesse, et c’est plaisir que de la contempler. Doublement.
Primo, la ronce ne figure pas parmi les meilleurs amis du classique paysan herbager : dotée d’une surprenante capacité à étendre ses bras tentaculaires, elle ne s’entend qu’à regagner du terrain sur la médiévale conquête des essarteurs, âprement défendue jusqu’à nos jours par des générations de Jacques, ces paysans fiers de l’être qui ont forgé nos paysages.
Secundo, car au sein du monde éclairé de l’herboristerie, chacun sait les vertus de cette liane malmenée des pulvérisateurs. Passons sur cette impressionnante liste aux accents thérapeutiques …et dont notre Nantaise, pour toute benête qu’elle passât, tire vraisemblablement le plus grand bénéfice ! Bien entendu il échappe à la vigilance de l’éleveur que la ronce ne figurât pas seule au tableau de cette providentielle manne : La ronce… et tant d’autres ? Quoiqu’il en soit, il semble bien que l’on tienne là les clefs de l’énigme : Cette vache se tient en forme par tous les temps et en dépit du discrédit dont elle est la victime, car mieux que toute autre elle sait trouver dans son biotope des aliments à peine considérés comme tels. A savoir : les reliquats de foin consentis par ses sœurs dominantes, lesquels lui remplissent malgré tout la panse, ainsi qu’une panoplie de « simples », ces vertueuses plantes dont l’usage fait primer la qualité à la quantité : ronce, chardon, ortie, noisetier, frêne, prunelier, aubépine, autant d’espèces qui sont l’apanage du bocage… des alicaments, pour reprendre un terme en vogue dans le milieu nutritionniste de ceux qui savent énormément.
En cela, Nantaise porte haut une des qualités faisant la réputation de sa race : la « rusticité ». D’une part, elle témoigne d’une relative autonomie alimentaire qui affranchit l’éleveur de dépenses fourragères et soucis sanitaires pénalisants, et de surcroit, elle sait trouver seule des végétaux pour le plus grand bénéfice de ses produits…
Epilogue du 25 août 2021 : Cette histoire que j’ai écrite voici 8 ans déjà, je ne l’ai jamais terminée. Nantaise a fait son 1er veau au bord de l’étang, seule, nous étions le 24 décembre 2013 exactement, alors que je fêtais Noel en famille dans le Nord. J’ai plus tard décidé de prendre la plume, car entre elle et son veau un lien maternel étroit s’était bâti… puis, que j’avais « oublié » de faire partir se dernier en boucherie à l’âge habituel de 8 mois… et que, quand je finis par le faire quand ce dernier en avait 13… Nantaise se mit à maigrir… tant et plus que je suis convaincu que c’est la disparition de son veau, pourtant alors grand « adolescent », qui par chagrin, lui a ôté une part de son énergie vitale.
Alors, conscient que ce type de narration n’ira que fourbir les arguments des vegans, je précise que cet exemple fut le seul que j’aie vécu en 10 ans. Quoiqu’il en soit, Nantaise m’a enseigné que nos animaux, surtout ceux qui sont issus de races anciennes préservées, non élevées pour leur unique propension à produire, ne sont pas si « bêtes » que nous l’entendons.
Un copain qui m’aide au transport d’animaux, lui-même éleveur de vaches Charolaises, me fait souvent la réflexion : « Quel caractère, tes bêtes !!! » Oui, elles sont d’une race ancienne, elles pâturent un grand espace particulièrement riche en diversité végétale… ne sont pas complémentées en divers produits industriels… Elles sont nature !